• 16 Sep, 2024

Goma, de mal en pire ...

Goma, de mal en pire ...

Si vous vivez à Goma ou aux environs, vous êtes certainement au courant que l’espérance de vie est d’un jour renouvelable, vous savez certainement que votre vie ne dépend pas de vous, qu’une balle peut vous trouver n’importe où, qu’à n’importe quel moment, ça peut être la fin, … Que dire, notre Goma est passé de mal en pire, sous nos yeux.

Goma de mal en pire, Goma, ma chère ville  
Goma, ma petite beauté, quand est-ce que c’est devenu comme ça ?  
C’était hier soir, autour de 18 h 00 que j’ai reçu un message d’alerte : « il y a un grave incident sécuritaire vers l’Entrée président » ; c’était partout sur les statuts WhatsApp, des vidéos atroces, des images de sang, des personnes blessées, mortes, … J’étais paralysée. Les débats étaient nombreux sur les réseaux sociaux, animés dans tous les sens. Les témoins oculaires étaient fiers d’être ceux qui diffusent l’information instantanée, avec des preuves à l’appui. Pour moi, c’était tout simplement terrifiant, quelle horreur !

Goma, c’est ma ville, c’est ma terre, c’est mon identité, c’est mon histoire. C’est triste de voir à quel point la situation se dégrade si rapidement, c’est triste de voir que chaque jour les choses s’empirent, c’est triste de se sentir en insécurité chez soi, Goma c’est ma maison.

Je me rappelle de ma petite enfance, de mes premiers pas sur ces pierres volcaniques. Je me rappelle de la panique lors des deux éruptions volcaniques, des vagues et du gaz méthane dans le lac Kivu, de toutes les tragédies que nous avons endurées, selon mes souvenirs, cette situation est la pire que Goma ait connu.

Nous avons grandi, depuis tout petits, nous avons toujours entendu parler de l’insécurité, nous étions avertis, enfants, qu’il était dangereux de se promener la nuit, nous étions au courant qu’on ne marchait pas avec un téléphone ou de l’argent exposé à Birere, on savait qu’il y avait des 40 voleurs et qu’il fallait faire attention à exposer sa vie, on savait qu’il y avait des voleurs à main armée, qui intervenaient pour des grandes opérations, on était prévenu qu’il y avait des criminels  et qu’il fallait faire attention avant de faire confiance. Nous avons grandi comme ça. Il fallait être prudent, il fallait suivre les consignes et tout se passait bien. Dans la plupart de cas, les incidents se produisaient quand on n’était pas assez prudent, quand on était trempé dans des situations louches, quand on avait des comptes à rendre.

Nous avons grandi, connaissant les lignes à ne pas franchir, les chemins sur lesquels ne pas s’hasarder, on comprenait le contexte et on s’adaptait. Et maintenant ??? Qui comprend ce qui se passe ??? Qui sait quoi faire pour échapper ??? Avant, on pouvait être sur ses gardes et survivre. On pourrait faire attention et échapper. On pouvait veiller sur soi et être sûr d’être en sécurité. Et maintenant ?

Goma, quand est-ce tu as commencé à nous donner envie de fuir ? Quand est-ce que tu as commencé à nous faire autant peur ? Quand est-ce que tu nous a donné l’impression que nous ne sommes plus en sécurité ? Quand est-ce que tu nous as donné l’impression de ne plus être notre maison ? Quand est-ce que tu es devenu une ombre de la mort qui nous hante ? Quand est-ce que tous ces changements se sont-ils opérés ?  


Nous avons grandi, nous savions que la guerre existait, nous savions que certains de nos frères et sœurs fuyaient leurs villages, nous savions que le coup de feu était dangereux au point qu’un petit bruit similaire nous poussait tous à aller à l’abri. Et maintenant ??? Maintenant le son d’un coup de feu est un feu d’artifice qui appelle tout le monde. Juste un coup de feu et on court tous regarder ce qui se passe, avec nos caméras bien ouvertes. Le danger que nous craignions jadis est aujourd’hui ce qui nous excite le plus. Ce qui nous active, ce qui nous mobilise.

Nous avons grandi, nous savions que les gens pouvaient mourir, nous savions que les gens mourraient. La vie était tellement précieuse et les morts honorés que même aux funérailles, il était rare d’imprimer la photo du défunt. La vie était respectée et la mort considérée comme un passage plutôt qu’un sort. La vie était précieuse que lorsqu’un cortège de funérailles passait, on s’arrêtait tous pour donner les derniers honneurs. Et maintenant ? Maintenant, on ne sait plus ce que signifie la vie, on ne sait pas apprécier la vie que nous nous mettons tout le temps en danger et même si ce n’est pas nous qui cherchons le danger, le danger nous trouve parce qu’il est désormais partout. Un coup de feu peut te trouver chez toi à la maison, dans ta chambre, au resto, dans ton véhicule, à l’église, au bar, n’importe où.   
Maintenant, les gens meurent tout le temps que la mort et la vie sont confondues. Les gens meurent tout le temps que ça ne gêne plus personne. On assiste à plusieurs cortèges de funérailles par jour qu’on ne se soucie plus de donner les derniers hommages comme si chacun attendait son tour. Evidemment …

Nous avons grandi, nous savions que les gens devraient être informés de la disparition de leurs êtres chers, mais nous étions prévenus et conscients que c’était une expérience trop difficile et que pour cela, il fallait y aller avec tact. Et maintenant ? Maintenant, tu apprends la mort de ton être cher de la manière la plus directe et la plus blessante qui soit et ça ne gêne personne. Maintenant, tu es assis calmement quelque part et tu lis sur le statut le RIP de ton proche, maintenant tu es curieux de voir les scoops de ce qui se passe à gauche et à droite et tu tombe sur la perte d’un des tiens.

Goma, nous t’aimons et nous avons appris à nous adapter. Qu’est ce qui s’est passé ? Toute cette insécurité, toute cette criminalité, toute cette atrocité, toute cette violence, toute cette injustice, … Goma, ce n’est pas assez ?  
On a connu le volcan, il ne nous a jamais fait autant peur, il a ravagé nos maisons, nos biens, nos proches, tous calcinés, transformés en pierres, pourtant, nous sommes partis et rentrés, certains ne sont même jamais partis.

Goma, nous t’aimons mais ça devient difficile. Quand est-ce que tu as commencé à nous faire autant trembler ? Nous avons connu des vagues qui ont pris nos frères et sœurs dans le lac Kivu, nous avons connu le gaz méthane, nous avons connu des noyades, des foudres, etc. Nous nous sommes adaptés, nous n’avons jamais eu autant peur.

Goma, ce que nous vivons maintenant est une goutte de trop : on ne contrôle plus rien, on ne sait plus à quoi s’attendre, on n’en peut plus des surprises malheureuses : des mères qui quittent la maison vivantes, pleines de vie et qui, le soir rentrent dans les morgues ; des jeunes pleins de vie qui ne reviennent pas, des enfants qui se tapent des balles et meurent impunément, dommages collatéraux des faits qu’ils ne connaissent pas.  
 Quand on grandissait, nos ainés nous disaient de toujours éviter d’être au mauvais endroit, au mauvais moment. On savait ce que pouvait être mauvais endroit, on savait ce que pouvait être mauvais moment. Et maintenant ? Maintenant, il n’existe pas de bon ou de mauvais endroit, il n’existe pas de bon ou mauvais moment. Il ne suffit pas d’être prudent, ta vie peut virer au pire dans l’espace d’une seconde, tout se joue au moment où tu t’y attends le moins : dans une discussion qui a mal tourné, dans un bouchon au cours d’une circulation, dans une blague au moment de l’ivresse, dans un rire mal interprété, …une balle, puis plusieurs et c’est tout. C’est une vie, c’est peut-être plusieurs qui sont éteintes. Aucune Justice, aucune suite. La vie perd sa valeur, on meut comme des mouches. Entre-temps, ce sont des cœurs qui sont brisés : c’est un enfant qui perd sa mère, c’est une mère qui perd sa fille, son fils. C’est un homme qui peut sa femme, sa sœur. C’est une personne qui perd son ami, c’est une famille qui perd son pilier, c’est un cauchemar qui commence quelque part. Et pour le reste, c’est normal, silence radio, la vie continue jusqu’à ce que ça frappe autour de soi.

Goma ? C’est toujours toi ma maison ? Quand est-ce que tu as commencé à nous étouffer ? Quand est-ce que tu as commencé à nous trahir ? Quand est-ce que tu nous as tourné le dos ? Goma, aujourd’hui, on propage des mauvaises nouvelles sans s’inquiéter. On remplit nos statuts WhatsApp d’atrocités sans remords, on expose les gens sans respecter leur dignité, on prend des nouvelles de mort, de blessures comme des sujets de commérages. Résilience ou traumatisme ? Force ou faiblesse ? Adaptation ou affectation ?    Mon peuple, je ne comprends plus rien, quand est-ce que nous sommes devenus comme ça ? Quand est-ce que ça a cessé de nous faire mal ? Quand est-ce que nous avons commencé à considérer ça comme normal ? Quand est-ce que c’est devenu le seul sujet intéressant de tous nos débats, nos discussions ? Quand est-ce que nous avons perdu notre sensibilité ? Au point de courir vers les victimes, non pas pour aider mais pour filmer, photographier ? Quand est-ce que nous avons commencé à être autant curieux ? Pour qu’au lieu de se concentrer sur les victimes, nous commençons à enquêter sur leurs vies pour avoir la version complète de l’histoire ?  
C’est passé tellement vite, c’est partie réellement vite et aujourd’hui, je ne reconnais plus la ville qui m’a fait grandir, je ne pense pas que mes enfants auront les mêmes souvenirs que moi, je ne sais pas s’ils pourront décrire la ville que moi j’ai, jadis, connue.

Pour notre Goma, unissons-nous pour que la paix revienne. Soyons tous acteurs de changement, disons non à ce qui ne va pas.  
La lutte continue, repos éternel à tous ceux qui ont perdu la vie depuis le début de la dégradation du contexte, courage à tous ces gens qui sont affectés d’une manière ou d’une autre depuis le début de cette crise. Courage à tous, encore une fois, pour notre Goma, la lutte continue.  
 

Brianca O. BUHORO

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