• 21 Nov, 2024

L'espoir, au-delà de tout espoir

L'espoir, au-delà de tout espoir

Il y a un an, j'ai écrit ce texte alors que j'étais sur le site de déplacés à Kanyaruchinya, aujourd'hui encore, avec les combats qui s'intensifient sur le front et toutes ces nouvelles tragiques des guerres partout dans le monde, je pense à tous ces déplacés et réfugiés, qui passent ces festivités de fin d'année loin de leurs maisons. Un seul mot pour vous : gardez espoir, croyez aux bons jours !

On dirait que ceux qui sont à la base des guerres n’ont pas de cœur ! Comment peut-on causer autant de misère !?  
Ce matin, je suis dans un site de déplacés, à Kanyaruchinya, plus de 44 000 ménages : des hommes, des femmes, des enfants ; je les regarde et mon cœur saigne. Je n’arrete pas de me demander, comment peut-on être si cruel ? Comment fait-on pour être si fier d’être à la base d’autant de souffrances ?

Je regarde ces hommes, ces femmes, ces enfants, ils ne sont pas parfaits, comme nous tous d’ailleurs mais je sais une chose, ce sont des innocents ; la population est innocente. Ces enfants sont des innocents. Eh oui, surtout ces enfants, …  
Des petits enfants qui ne savent rien de tous ces conflits politiques,  
Ces femmes enceintes et allaitantes,  
Elles auraient pu être vos femmes, vos sœurs, vos mères, vos filles ;  
Ces hommes, qui laissent tomber leur fierté et souffrent comme tous les autres ; vous auriez pu être à leur place. Ils auraient pu être vos frères, vos fils, vos pères ;  
Mais regardez ce que vous leur avez fait. Et puis, il y a ces autres personnes à besoins spécifiques : des malades, des vieillards, des personnes vivant avec handicap ; qui au-delà de leurs vulnérabilités, ils se battent pour survivre, ils courent pour ne pas être tirés dessus.  
Et ces enfants ? Parlons encore des enfants, certains se sont fatigués en route, certains se sont égarés de leurs familles, certains sont décédés de froid, de faim ou d’infection…  
Ces enfants, ils auraient pu être vos enfants, vos petits-enfants, vos neveux, …

Je suis d’accord que la RDC est un pays en voie de développement. Je suis d’accord qu’elle figure parmi les pays les plus pauvres du monde. Selon la Banque Mondiale , environ 62 % de la population du pays — soit 60 millions de personnes vivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Ainsi, près d'une personne sur six en situation d'extrême pauvreté en Afrique subsaharienne vit en RDC  
Mais écoutez, ces personnes, aujourd’hui déplacées vivaient bien dans leurs villages. Elles avaient une routine. Elles ne se plaignaient pas de leurs 2,15 dollars par jour difficilement gagnés. Elles avaient un chez eux et elles s’y plaisaient. Que ce soit dans les huttes à fortune, dans la brousse et que sais-je encore ; elles étaient contentes d’y vivre et de vaquer à leurs activités ; contentes d’aller aux champs ; contentes de se réveiller très tôt au chant des coqs ; contentes de veiller tard au clair de la lune ; contentes d’envoyer leurs enfants garder les bétails ; contentes de les envoyer à l’école, contentes de partager la boisson avec les voisins en parlant de la prochaine saison culturale ; contentes de ce que vous pensez être « leurs misères ».  
Elles étaient satisfaites de leur petite routine ; elles ne se plaignaient pas. Elles étaient heureuses. C’était la terre de leurs ancêtres depuis la nuit de temps.

De génération en génération, vivre signifiait aussi cultiver son champ et/ou tenir son élevage en écoutant les oiseaux fredonner. Vivre signifiait aussi vivre en communion, célébrer ensemble les grands événements comme le nouvel an, partager les repas et les boissons avec les voisins.  
Ces gens, coincés aujourd’hui dans ces camps de déplacés avaient une vie ; une vie dont ils étaient fiers. Et contrairement à ce que le monde entier pense lorsqu’il parle de la RDC comme pays pauvre : Ils avaient une belle vie, bonne ou mauvaise, on s’en fout ; ça dépend de vous ; mais nous savons tous, qu’il n’y a aucun bel endroit au monde comme sa maison, ces villages qu’ils ont dû fuir à cause des guerres étaient leurs maisons. Comme dit-on en anglais « home is always sweet ».  
Puis, d’un jour à l’autre, d’une minute à l’autre, un coup de balle retentit, puis un deuxième, un troisième jusqu’à ce que ça devient insupportable et personne ne peut plus compter. D’un moment à l’autre, on se retrouve face au choix de mourir sur le champ ou de risquer de mourir pour se sauver, d’une seconde à l’autre, on se met à choisir quoi emporter et quoi laisser ; dans un clin d’œil, on se surprend à réévaluer ces biens qu’on a toujours considérer importants pour décider qu’est ce qui peut partir et qu’est ce qui peut rester. Ce moment où plus rien ne compte que la lutte pour son souffle de vie et celui de ses êtres chers.  

Putain de guerre !! Qui te soutient ? Ces gens, dans ces sites de déplacés, au Nord Kivu, en Ituri et partout en République, ce sont mes frères, ce sont mes sœurs, ce sont mes parents, ce sont mes enfants, nous sommes tous fils de ce pays mais la guerre les a tout pris. Elle a tout pris, tout, absolument tout : leur dignité, leur honneur, leur fierté, leurs rêves, leurs illusions, tout…

Mon cœur fend, mon cœur saigne face à toutes ces souffrances. J’ai tellement de questions. Comment un être humain peut-il être à la base de toutes ces misères ? N’est-ce pas l’homme qui créé l’arme ? N’est-ce pas l’homme qui la manipule ? Où avez-vous vendu votre conscience ? Pourquoi ces guerres ? Qu’est-ce que vous y gagnez qui vaut plus que la vie humaine ? Qu’est-ce que vous y gagnez qui mérite ces larmes des enfants, ces cris de détresse, ces morts, ce sang qui coule, ces blessures dans les cœurs affectés ? Je n’ai pas de réponses, je ne peux pas m’empêcher de souffrir avec eux. Je crois en eux, ce sont mes frères, ce sont mes sœurs. Nous sommes tous congolais. Je les vois, j’admire leur courage et leur résilience. Je regarde à gauche à droite avec insistance, je vois ces enfants, sans chaussures ni habits ; lèvres sèches et peau collée aux os ; je les vois sourire, heureux malgré leurs conditions de vie. Je me demande : « sont-ils vraiment heureux ? » Puis je me dis : « Quelle innocence ! ». Dans ma tête, je me dis qu’ils sont heureux. Puis, je tourne ma tête en tous sens, je m’intéresse aux adultes autour de moi, leurs regards sont tristes, leurs visages ne laissent entrevoir aucune expression ! Ont-ils atteint un point où l’on ne ressent plus rien à force de souffrir ? Qu’est-ce que c’est trop dur de les voir comme ça ?!  Trop dur de se savoir incapable d’apporter un changement positif et significatif à leur situation !

Comment des pays peuvent-ils être la source de tant de malheurs dans d’autres pays ? Ils s’appellent des puissances du monde. Dans leur tête, ils pensent qu’ils contrôlent ce monde. Ils peuvent tout contrôler,  
Je vous l’accorde, mais jamais ils n’auront du pouvoir sur notre état d’âme, ils ne peuvent pas tout contrôler. Ils peuvent semer la peur sans nous terrifier, nous faire taire sans nous éteindre. Je crois qu’ils ont vendu leur âme au diable, au fond, nous luttons pour ne pas nous effondre. Qu’ils aillent tous au diable. La vie humaine n’a pas de sens à leurs yeux, c’est clair ! Ils courent, ils courent, ils courent encore derrière le pouvoir, l’argent, … Ils sont prêts à tout pour atteindre leurs fins !  
Quelle hypocrisie ?  
En même temps, ce sont eux qui nous parlent des droits de l’homme, ce sont eux qui nous parlent de la dignité humaine. Ce sont eux qui nous parlent du respect de la vie. Quelle contradiction ?  
Ils sont sans cœur, ils se croient éternels. Mais tout n’est que vanité, rien n’est perpétuel. Ceux qui s’appellent puissants finissent par périr comme ceux qu’ils appelaient faibles. La mort s’en fout du titre et t’embrasse peu importe le temps que ça prend. Un jour la mort les arrêtera, malheureusement les espèces de leur genre poursuivront ces atrocités, malgré ça, nous serons encore forts et courageux.

Putain de guerre, écoutes !  
Je vois ces hommes, responsables de leurs ménages quémander, se laisser commander pour une aide ; eux, qui avaient des champs, des bétails dépendent désormais de la charité des églises, des organisations, des associations. Comment peut-on se sentir dans sa peau quand sa survie dépend d’un sac de riz obtenu après un très long processus de formalités ??? Je vois ces parents et je peux sentir leur souffrance dans ma peau. Je tremble, je pleure, je sens un nœud dans ma gorge. Je vois ces personnes, ce sont mes frères, ce sont mes sœurs. Ces enfants, ils pourraient bien être les miens. Ma famille et moi pourrions bien être leur place. J’admire leur courage, et je leur rends hommage.  
Dans un court instant de toute leur vie, ils ont connu toutes les formes de souffrances. Ils ont ressenti les émotions les plus douloureuses et les plus intenses qui puissent exister. Ils ont surmonté des tragédies dont ils ne se croyaient pas capables jusqu’à présent :  
Ils ont enterré les leurs, morts de fatigue, de faim, d’épidémie, de crise cardiaque, de chagrin, …  
Ils ont été forcés de quitter la terre de leurs ancêtres, abandonnant tout derrière eux.  
Et malgré tout, ils ont gardé l’espoir ;  
A voir comment ils se battent, ils ont gardé espoir. Ce truc que personne ne peut arracher aux congolais.  
Quelle résilience !  
Je le lis sur leurs visages, ils croient encore aux jours meilleurs ; et je veux dire : ce n’est pas la fin du monde, nous sommes congolais, nous sommes la résilience.

Je sais, je crois et j’espère :     
Un jour, on se lèvera, plus forts qu’aujourd’hui et on gagnera cette bataille ; la bataille pour notre souveraineté, pour notre paix et pour notre stabilité.     
Un jour, on pourra entretenir nos sols et nos bétails, voir nos enfants naître et grandir chez eux sans jamais être contraints de fuir.     
Un jour, on pourra élever nos voix pour les chants d’allégresse ;     
On verra enfin la lumière, cette lumière au bout du tunnel que nous n’avons pas su atteindre jusqu’à présent ;     
Nous pourrions sourire à nouveau et parler de cette expérience à nos enfants, aux enfants de nos enfants comme s’il s’agissait d’une légende d’horreur ;     
Nous garderons à jamais la mémoire de nos êtres chers perdus et que nous n’avons pas eu la chance d’enterrer dignement ;     
Nous garderons le souvenir de ces ténèbres pour apprécier la lumière et la liberté de vivre comme des êtres vivants ;     

Nous recommencerons notre routine, de cultiver nos champs, d’élever nos bétails, de voir nos hommes discuter autour de leurs bières traditionnelles et nos enfants jouer dans la cour au clair de la lune ;     
Nous resterons solidaires et nous fêterons toujours ensemble comme un seul peuple.     
Et malgré tout, nous garderons cet espoir, jusqu’à ce que la lumière apparaisse, quand toutes ces atrocités disparaitront.

Ahmed
Avec toute mon affection et ma profonde compassion pour tous les déplacés de guerre dans le monde entier et spécialement en République Démocratique du Congo.  

PS : Photo crédit : Ahmed Akacha  
 

Brianca O. BUHORO

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