Vivre est le plus beau cadeau qu'on peut avoir.
Kylie Demestere _ Imagination
Aujourd’hui, alors que je rentrais du travail, épuisée, je me suis mise à réfléchir. Remarcher dans les rues de Goma un vendredi soir, un jour normal, m’a semblé étrange : un peu comme s’il s’agissait d’un jour férié ou d’un dimanche après un long week-end de grandes fêtes (Nouvel An, Noël, etc.), lorsque les gens sont généralement trop fatigués.
Il y a quelques mois, le vendredi soir était le moment où il y avait le plus de monde dans les rues, où les passants se heurtaient ici et là, chacun étant pressé de regagner sa maison pour se reposer, de rejoindre des amis pour un verre, ou de vaquer à d’autres occupations plus lucratives que durant le reste de la semaine. En marchant ce soir, j’ai vu et ressenti un autre Goma, comme si nous étions dans une ville différente. J’ai traversé les rues très aisément, tant la circulation était faible. Il y avait des endroits où j’ai même parcouru plusieurs mètres sans croiser personne. Et puis, d’un seul coup, toute cette ambiance d’une ville vivante m’a manqué. Combien la vie peut-elle être volatile !
Dans la vie, nous avons souvent tendance à considérer les bonnes choses comme acquises, à les percevoir comme des situations normales. Nous trouvons naturel d’être en bonne santé, d’avoir un repas, un toit, un travail… Ces choses nous paraissent évidentes. Pourtant, même lorsque la vie ou la nature nous rappelle qu’il s’agit de privilèges en nous exposant des exemples concrets, nous faisons parfois semblant de comprendre. Puis, nous continuons à agir comme si tout cela était un droit acquis. Nous trouvons normal qu’il y ait des gens malades, des personnes sans abri, des déplacés ou réfugiés, des victimes d’injustices et d’abus de pouvoir. Nous nous disons que c’est cela, le monde. Parfois, cela nous écœure, nous protestons, mais ensuite nous reprenons le cours normal des choses. Pendant longtemps, nous considérons nos bonnes conditions comme acquises, consciemment ou inconsciemment, pensant que les autres subissent ce qu’ils sont censés subir parce que c’est la vie, c’est le monde dans lequel nous vivons… jusqu’au jour où la situation change.
C’est souvent à ce moment-là que nous réalisons que ce que nous considérions comme acquis était en réalité des cadeaux fragiles de la vie, que nous pouvons perdre à tout moment, comme tout le monde. Nous réalisons que, malgré toutes nos compétences, ce travail n’était pas acquis ; que, malgré toutes nos précautions, notre santé nous a lâchés ; que, malgré notre loyauté, nous n’avons pas été à l’abri des déceptions… Que finalement, tout peut arriver à n’importe quel moment, y compris les mauvaises choses. Malheureusement, ces prises de conscience arrivent souvent tard, dans des moments difficiles où les « si je savais, j’aurais pu » sont bien plus nombreux que les « je sais et, par conséquent, je suis conscient et, de ce fait… ».
Cela s’applique à bien des aspects de notre vie quotidienne. Nous nous habituons à la gentillesse d’un ami au point de ne plus la valoriser, jusqu’à ce qu’il change d’attitude. Nous abusons parfois de la serviabilité d’une personne, sans y prêter attention, et la seule chose que nous remarquons, c’est lorsqu’elle agit en dehors de nos attentes. Nous nous reposons sur l’aide de notre partenaire sans réellement l’apprécier ; et ce que nous remarquons, c’est lorsqu’il ou elle n’est plus en mesure de nous rendre le même service. Nous négligeons notre travail, jusqu’au jour où nous le perdons. Nous négligeons nos proches, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus là. Nous nous habituons tellement aux précieux cadeaux de la vie que nous n’en apprécions plus la valeur. Et bien souvent, nous apprenons à les valoriser uniquement lorsque nous ne pouvons plus vraiment en profiter.
Cette manière de vivre ne nous permet pas d’être heureux. Nous ne devrions pas attendre de perdre ce qui nous est cher pour en reconnaître la valeur. Il est essentiel de développer, au quotidien, un sentiment de gratitude, afin de mieux apprécier les cadeaux que la vie nous offre, les valoriser et en tirer le meilleur parti.
Chacun de nous possède un cadeau, quelle que soit la situation : un élément positif sur lequel se reposer. Pour cela, il est nécessaire d’apprendre à apprécier les petites choses positives du quotidien : cette pluie qui tombe alors que nous avons un pardessus, tandis que quelqu’un ailleurs meurt de froid ; cette chaleur intense, que nous affrontons armés d’une bouteille d’eau, tandis que quelqu’un d’autre meurt de soif ; la gentillesse d’un inconnu au coin de la rue ; la sympathie gratuite d’un étranger ; une faveur inattendue de la part de quelqu’un que nous ne connaissons pas…
Dans chaque situation, il existe pire. Si nous prenons du recul, nous pouvons reconnaître qu’il y a toujours des raisons de nous réjouir et d’apprécier les petits cadeaux que la vie nous offre chaque jour.
Il y a des cadeaux présents qui n’existeront plus demain. Si nous n’en profitons pas maintenant, nous aurons perdu à jamais l’occasion de les savourer, et il ne nous restera que des regrets. Aujourd’hui, j’ai ressenti l’envie de me mêler à la foule, d’entendre des gens gronder parce qu’ils ont été bousculés ou parce qu’ils pensent être plus pressés que tout le monde. Mais rien. Il y a quelques mois, ces choses m’auraient énervée, je les aurais trouvées agaçantes. Pourtant, aujourd’hui, c’est devenu une prière : j’aimerais encore voir une ville agitée, vivante, pleine de vie.
Et puis je me suis rappelée que ce calme, sur mon trajet, pourrait aussi être un instant unique. Il pourrait ne plus revenir. Je pourrais ne plus avoir l’occasion de marcher. Alors j’ai profité de respirer l’air frais, comme si j’étais la seule créature sur Terre à avoir besoin d’oxygène. J’ai savouré ce calme qui semblait apaiser mes nerfs après une semaine de travail. J’ai pensé à tous ces instants uniques que j’ai banalisés et dont je suis maintenant nostalgique, et je me suis promis d’écrire à ce sujet en rentrant.
Petit rappel : Peu importe ce que vous traversez, votre vie n’est ni vide ni vaine. Peu importe l’incertitude, il reste encore l’espoir que tout change. Il reste aussi ces petits cadeaux que vous pouvez apprécier si vous prenez le temps de les reconnaître !
Photo crédit : Miranda