Le jour sera long tout comme la nuit, le temps semble s’être arrêté et ce matin n’a rien d’un matin. C’est une suite d’un cauchemar qui élargit son champ. On dit que c’est un nouveau jour, mais au fond, entre la terreur et l’impuissance, la rage et la fatigue, nous ne savons pas distinguer le jour et la nuit.
La nuit noire, avec les coups de feu et les bombes qui font office de feu d’artifice, éclatent dans les cieux, faisant voler en éclats nos espoirs minimes. La journée, le ciel timide et assombri nous confirme que le danger est toujours réel et que rien n’a changé. Nous espérions que la lumière du jour nous apaise, mais le jour n’est pas le même avec les détonations de balles partout.
Ces spéculations sur les réseaux sociaux n’aident pas non plus. Jour ou nuit, tant pis, nous sommes là, enfermés dans nos maisons, aucune différence. Le temps n’est pas notre allié, il semble s’être arrêté. Nous avons beau nous dire que le temps résout beaucoup de choses, mais ce temps ne coopère pas.
Des années sont passées, nous avons fait semblant de nous habituer, d’être si résilients, de nous familiariser, mais non. Depuis le 23 janvier, ça va de mal en pis. Naître et grandir dans la guerre ne nous immunise pas contre la guerre, la guerre fait du mal, trop de mal et à chaque fois, c’est une nouvelle expérience, de plus en plus traumatisante.
Nous n’avons pas de courant, nous nous sommes battus pour trouver de l’énergie dans les téléphones, les machines, mais maintenant que nous sommes tous dans les maisons, que deviendrons-nous sans nouvelles de nos proches ni de la situation ? Certaines batteries sont déjà déchargées, les miennes le seront bientôt et qu’adviendra-t-il de nous, coupés du monde dans cette panique ? Les radios locales ne disent rien de concret, de clair, les réseaux sociaux c’est pire, ils en disent trop, mais avec des sources sûres, on peut accéder à de bonnes informations.
Nous sommes épuisés, trop épuisés, tant physiquement que psychologiquement, pourtant nos yeux refusent de se fermer pour un petit sommeil. Nous aimerions un peu nous reposer, mais notre cerveau, conscient du danger, nous l’interdit. Il refuse à notre cœur de s’apaiser, il refuse à notre corps de se reposer. Nous aimerions faire semblant et penser à autre chose, mais il y a quelque chose qui nous impose de résister encore, une force qui garde tous nos sens en éveil.
Les coups de balle s’enchaînent dehors et au fond de nos cœurs s’enchaînent des contradictions, des spéculations, des doutes, des questionnements, dans tous les sens. Dehors, nous entendons des balles, ils disent que ce sont les affrontements ; pendant ce temps, nous nous affrontons nous-mêmes, notre cœur contre notre cerveau, notre esprit contre notre âme, notre cerveau contre notre cœur. C’est un combat entre la foi, les perceptions, la logique, les croyances, les sentiments… Nous ne savons pas ce qui est objectif ou subjectif, tout est confus.
Dehors, c’est la guerre, dans nos maisons c’est aussi la guerre – beaucoup d’incertitudes, de questions, de doutes sur ce qui se passe, sur ce qui suivra… Les enfants se questionnent, ils ne comprennent rien, pour certains c’est la première expérience, certains prennent peur, d’autres sont curieux. Les parents essaient de rassurer, ils essaient de dire que peu importe la situation, ils seront là, mais qui est là pour eux à part Dieu ? Dieu n’est-il pas Souverain ? Dans cette tragédie, les parents essaient de faire des promesses de protection, mais les parents eux-mêmes sont-ils vraiment protégés ? C’est faux. J’ai envie de dire à mes fils : « maman n’est pas super héros ». Parents ou adultes, nous sommes tous vulnérables, riches ou pauvres, nationaux ou expatriés, noirs ou blancs, congolais ou étrangers ; la guerre ne voit pas ces spécificités, une balle ne choisit pas la race, le cœur d’un Congolais n’est pas moins sensible que le cœur d’une autre nationalité…
En tant que parents, nous avons vécu plusieurs épisodes pareils, nous portons les marques de toutes nos blessures, nos souvenirs encore vivants, mais aujourd’hui c’est différent, nous étions enfants sous la responsabilité de nos parents, maintenant nous sommes parents avec la responsabilité de nos enfants. Nous essayons de jouer notre rôle, nous hésitons entre les mots à prendre pour parler de la situation, nous choisissons le ton pour dire que dehors est dangereux, nous devons expliquer pourquoi il est interdit de jouer dehors, pourquoi les classes sont fermées…
Nous luttons pour fournir le minimum avec les moyens disponibles pour assurer la survie. Nous luttons pour cacher notre peur et toutes les questions qui se passent dans nos têtes. Nous luttons surtout pour préserver leur innocence, mais… Pendant combien de temps ? Cette question est aussi la plus difficile et n’a pas de réponse. Nous luttons aussi pour rire sincèrement aux blagues de nos enfants et profiter de leurs jeux comme si tout allait bien. Nos cœurs battent entre les bruits des balles, des bombes par-ci par-là, on s’arrête et on poursuit.
Nous les regardons, nous voyons notre propre parcours, notre enfance, notre expérience de guerre. Nous avons le cœur fendu de nous rendre compte que nous n’avons pas pu offrir à nos enfants autre chose que la guerre. Nous les regardons et nous avons du mal à réaliser qu’eux-mêmes sont en train d’expérimenter et d’écrire une autre expérience de guerre, tout comme nous. À quand la fin ?
1990… 1994… 1996… 2001… 2013… 2025, c’est au tour de nos enfants de vivre cette expérience douloureuse qu’est la guerre. Cette histoire écrite depuis très longtemps par la sueur des déplacements, les larmes de douleur, d’impuissance et de désespoir, le sang des innocents et des héros se poursuit, cette phase sera racontée par nos enfants et peut-être sa suite sera écrite autrement.
Il reste beaucoup d’espoir et tellement d’amour pour ce pays, pour ce peuple, pour baisser les bras…
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